"Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre coeur n'importe quelle injustice commise contre n'importe qui, où que ce soit dans le monde. "

Ernesto Che Guevara - 1928-1967




lundi 26 avril 2010

Désintégrité?

Souvent, je me réfugie dans la poésie. La poésie diffère de la prose par ses images, par ses multiples interprétations possibles, par ce chuchotement intérieur qu’elle permet.


Récemment, par obligation au travail, j’ai eu à poser des gestes répugnants à mes yeux, à ma conscience. J’ai dû accepter de jouer le rôle répressif d’un sbire au service des dominants. Pendant un moment, j’ai dû, sous les ordres, mettre de côté mon intégrité sociale et servir de main-d’œuvre au bâillon.

Avais-je le choix? J’aurais pu le prendre ce choix mais la conséquence aurait été lourde. Trop lourde? Je ne sais pas car je n’ai pas pris le choix, j’ai obéi aux ordres.

***

Pendant quelques jours, la douleur que causait mon regard dans le miroir était atroce. Là, ça s’estompe mais mon intégrité est brisée, fendue, désintégrée. Il s’agit pourtant d’une valeur qui est fondamentale pour moi. En une heure, j’ai l’impression d’avoir piétiné ce que j’avais pourtant si chèrement gagné et protégé.

J’ai ragé beaucoup. Maintenant, j’ai l’impression d’être « deux »; l’ancien et l’actuel, et il ne s’agit pas d’évolution.

***

Bref, j’ai fouillé, cherché, lu; je me suis évadé entre les lignes de mes livres préférés, mes poésies. Anesthésié par le trop abondant houblon, picossant les mots et leur cherchant un sens personnel, peu importe. Baudelaire, Nelligan, Rimbaud, Verlaine, Rilke, Miron, Chamberland…

Cette fois, c’est Miron qui m’a parlé, parce que c’est de ça qu’il s’agit. Je lis et relis ces lignes depuis. Parfois elles m’apaisent, parfois elles font rejaillir ma colère et ma honte.

Aujourd’hui, prétextant maladie, je ne me suis pas présenté au travail. Dans la solitude et le calme de la maison vide, je pense. Je cherche. J’erre.

Comment, maintenant, est-ce que je vais pouvoir transmettre la fierté d'être intègre à mon fils?

***

Miron:
« Je parle seulement pour moi-même et quelques autres puisque beaucoup de ceux qui ont la parole se déclarent satisfaits.
VOYEZ LES MANCHETTES.

Je parle de CECI.


Ceci, mon état d’infériorité collectif. Ceci, qui m’agresse dans mon être et ma qualité d’homme espèce et spécifique. En dehors tout ensemble qu’en dedans. Je parle de ce qui sépare. Ceci, les conditions qui me sont faites et que j’ai fini par endosser comme une nature. Ceci, qui sépare le dedans et le dehors en faisant des univers opaques l’un à l’autre.

ceci est agonique
ceci de père en fils jusqu’à moi

le non-poème
c’est ma tristesse
ontologique
la souffrance d’être un autre

le non-poème
ce sont les conditions subies sans espoir
de la quotidienne altérité

le non-poème
c’est mon historicité
vécue par substitution

le non-poème
c’est ma langue que je ne sais plus reconnaître
des marécages de mon esprit brumeux
à ceux des signes aliénés de ma réalité

le non-poème
c’est la dépolitisation maintenue
de ma permanence

or le poème ne peut se faire
que contre le non-poème
ne peut se faire qu’en dehors du non-poème
car le poème est émergence
car le poème est transcendance
dans l’homogénéité d’un peuple qui libère
sa durée inerte tenue emmurée

le poème, lui, est debout
dans la matrice culture nationale
il appartient
avec un ou dix mille lecteurs
sinon il n’est que la plainte ininterrompue
de sa propre impuissance à être
sinon il se traîne dans l’agonie de tous

(ainsi je deviens
illisible aux conditions de l’altérité
- What do you want? Disent-ils –
ainsi je deviens
concret à un peuple)

poème je te salue
dans l’unité refaite du dedans et du dehors
ô contemporanéité flambant neuve
je te salue, poème, historique, espèce
et présent de l’avenir

le poème, ici, a commencé
d’actualiser
le poème, ici, a commencé
d’être souverain »

Gaston Miron
Extrait de « Notes sur le non-poème et le poème »

6 commentaires:

Zoreilles a dit…

Je compatis à cette douleur, à toutes les remises en question qu'elle suscite jusqu'à te rendre malade. Quand ton travail t'amène à aller à l'encontre de tout ce que t'es, de tout ce que tu crois...

Ta question fait mal : « Comment faire pour transmettre à ton fils cette valeur si chère pour toi, l'intégrité? »

Juste de te poser cette question-là, c'est faire preuve de tellement d'intégrité et de sincérité. On transmet ce qu'on est fondamentalement, Esperanza, et pas nécessairement ce qu'on voulait. Je n'ai donc aucune espèce d'inquiétude pour ce que tu transmettras à ton fils.

La poésie, c'est parfois un baume sur une plaie brûlante.

Diable Robidoux a dit…

Mon cher Esperanza, nous réglerons vos problèmes de conscience en temps opportun, puisque désormais, votre bail est signé en enfer! Vous pourrez toujours l'annuler si vous le faites durant la période prescrite par la loi.

Lise a dit…

Esperanza,

ne te connaissant pas autant que Zoreilles, je dirai simplement que chacun a besoin d'encouragement, et d'une main à tenir, même si j'ai dit le contraire ailleurs (il faut bien sauver la face, et le peu de dignité qui reste, dans mon cas).

Je sais que tu es une personne sensible, généreuse, à l'écoute des autres, et je ne peux que me sentir solidaire de ton chagrin. Et d'accord avec Zoreilles, ton fils a un excellent exemple.

Les gènes ça parle fort, et ta générosité de coeur, ta sensibilité, ajoutées aux qualités maternelles, ça ne peut faire qu'un beau mélange...

Lise qui n'a toujours pas de blogue.

Esperanza a dit…

Lise, Lise, Lise...

Tu t'imagines bien que je vais dépasser cet état!

Quant au reste, la vie saura faire avec!

Toi, tu devrais avoir ton blogue depuis au moins 3 ans! Je suis patient!

Lise encore a dit…

Esperanza,

quand je me sentirai prête je l'aurai mon blogue. Et surtout quand je me sentirai prête à dire certaines choses sans nuire à personne...

J'ai lu des blogues horribles, par hasard; des gens qui parlaient de leur conjoint dans leur dos si ça n'allait pas bien (et à mon humble opinion on peut écrire sans en parler, plutöt que de faire du mal); on peut faire sortir le méchant autrement...enfin il me semble.

Ceci dit, bonne fin de semaine à toi et à ta belle petite famille!

Merci Esperanza!!!

Esperanza a dit…

Tu sais Lise, il y a moult façons de dire... de se dire... sans nuire, sans coup férir.

Ceci étant, bonne fin de semaine à toi aussi!